un squat de A à Z

j’ai écrit une nouvelle toute courte sur une ouverture de squat, mais si c’est le manuel que tu cherches, c’est sur infokiosques.net


la brochure en pdf

un squat de A à Z

— Tu peux me passer la rallonge ? J’ai pas assez de force, là…

Je fouille silencieusement dans le sac à dos à nos pieds en étouffant la lumière de ma lampe entre mes doigts et je sors délicatement le tube d’acier de 50 cm avant de le tendre à Gigi. Pendant qu’elle coince la crosse de la monseigneur dans le volet métallique et emboîte le tuyau sur le pied-de-biche, je referme le sac et me prépare à courir. Elle éteint sa frontale et prend appui sur le mur avec son pied.

OïïïïnnnnnnnnnKLANG !

Le volet est ouvert, mais on bouge pas, on attend, accroupies. Je tends l’oreille. Rien.

— Pétain ça fait flipper, je souffle. Tu veux faire la porte au pied de biche aussi ?

— Nan, regarde, le fût de la serrure dépasse d’au moins 3 mm… Passe la clé à molette, on va la casser.

D’habitude, je me planque dans le camion avec les cagettes d’affaires, ou je fais le guet dans la rue, c’est la première fois que je me porte volontaire pour l’ouverture. J’ai les mains qui tremblent en sortant la grosse clé à molette du sac. Je regarde Gigi la serrer sur le bas de la serrure.

— Faut que tu me files un coup de main, dit-elle, le tube est pas assez large pour la clé. On fait comme je t’ai montré hier.

Ouais, hier, dans un endroit safe, en plein jour… Je me cale à ses côté, elle compte jusqu’à trois et on donne un coup sec vers le haut, puis vers le bas puis CLAC ! La clé à molette manque de me glisser des doigts. On fait une pause de quelques secondes, par sécurité, mais le volet a fait bien plus de bruit. Gigi me tend morceau de gros fil de fer.

— Vas-y, elle chuchote. Tu vires les morceaux du fût et tu fais tourner le merdier au milieu.

— Ok…

Je souffle pour me calmer, faut pas traîner, les autres peuvent se faire choper n’importe quand là-dehors. Je galère un peu mais, enfin, le penne recule et la porte s’ouvre. Au même moment, Gigi claque sa langue et j’entends les pas précipités des copines qui arrivent en courant avec les cageots chargés. Mel et Nouk entrent en premier, posent leur fardeau et partent faire le tour de la maison pendant que les autre déchargent dans le hall d’entrée. Moi je profite que la porte ouverte ne gêne pas le passage pour remplacer la serrure de la porte. Mel se penche dans la cage d’escalier.

— On est bon, y a personne !

— D’acc’, je ferme la porte, répond Gigi.

Elle tire le volet et l’attache au fil de fer, puis je referme la porte à clé.

— Si les bâtards débarquent maintenant, ça devrait tenir assez pour nous laisser le temps de filer par le toit, mais ça empêche pas de rajouter un ou deux verrous !

— Sinon, regarde, dis-je. Si burine la cloison, on peut passer une barre et la coincer dans le radiateur en face, non ?

— J’sais pas, j’ai peur au bruit, là… On fera ça demain quand tout le reste est sécur’, en attendant, on peut toujours foutre un étai en travers si ça te rassure !

***

Après trois heures de bricolage silencieux, à visser à la main des planches et des verrous sur tout ce qui pourrait bouger, on en arrive au point où la baraque est soit assez barricadée, soit ne le sera jamais. On s’est toustes posé·es sur les caisses dans le salon, bien claqué·es. On sirote notre eau chaude, qui avec un thé ou un café en poudre, qui avec un ramen au curry de la récup’ de la semaine dernière. C’est la descente d’adrénaline, dans pas longtemps la plupart d’entre nous va aller se pieuter, sauf les volontaires pour le guet qui enchaînent les cafés dégueus.

— C’est quand même ouf cette baraque ! Vous savez c’était quoi avant ?

— Je dirais un truc d’accueil, genre colo ou auberge jeunesse…

— J’pense c’était un genre de foyer pour ado, un truc de l’ASE, y a pas mal de chambres, mais elles ont l’air prévues pour les séjours longs… D’ailleurs, si ça vous le fait, je pense qu’on peut toustes avoir notre piaule !

— Ouaaah ça fait une éternité que j’ai pas eu une chambre pour moi…

— En même temps, vu le contexte, ça me fait un peu flipper de dormir seul !

— Ouais, moi aussi, on peut s’en prendre une à deux si tu veux ?

Je prends mon duvet et mon sac à dos et je me lève de ma caisse.

— Si ça vous le fait, je veux bien la chambre au fond du couloir du premier, je suis claqué·e !

— Attends, celle avec la tapisserie à fleur mauve ou celle avec des camions tout moches ?

— les camions m’iront très bien, surtout que je compte pas les laisser longtemps !

Je sors de la salle qu’on appelle maintenant « le salon », je jette un œil dans la cuisine en passant. Une belle cuisine de collectivité, toute équipée, si on arrive a remettre le jus demain ça va être génial cette maison. Je monte l’escalier et, avant de rentrer dans ma nouvelle chambre, je sors le marqueur de ma poche et écrit mon nom sur la porte. Pas pour éloigner les autres ou marquer une propriété, mais pour signifier à mon cerveau qu’il peut se relâcher un peu, je suis chez moi.

***

Gigi me réveille en me secouant l’épaule.

— C’est notre tour de garde…

— ‘Chier, j’ai la tête dans le cul.

— Ça se voit, elle répond en se marrant. Moi j’ai pas dormi, on a causé toute la nuit avec Pierre et Andrea.

— Causé de quoi ? De Comment ils ont encore réussi a esquiver le barricadage et les ampoules dans les mains ?

— Ça vaaaa ! On a tagué la façade, on s’est dit que c’était plus clair pour signaler que la maison était occupée, et ils ont fait des repérages autour. Y a plusieurs autres maisons pas mal dans la rue, si on se démerde bien et si on ramène du monde, on pourrait reprendre toute la rue ! Allez, habille-toi, j’te montre !

Je suis évidemment déjà habillée, je remets juste mes chaussures de marche et j’enfile mon sweat à capuche. Je suis encore au radar. Gigi me tend un mug ébréché rempli de thé vert, c’est dégueu, mais moins que le café lyophilisé. Je me lève et je la suis dans l’escalier. arrivé·es au dernier étage, on monte une espèce d’échelle de secours qui sort par une trappe et on se retrouve sur la terrasse se la baraque. Elle me laisse le temps d’appréhender le paysage que j’ai vu que de nuit pour le moment. Une petite rue en L, principalement de petites maisons collées les unes aux autres avec un jardinet devant, sauf la notre qui trône à l’angle du L. Quelques bagnoles garées, un vélo abandonné, un bus et un fourgon accidentés bloquent pratiquement le fond de la rue, à gauche. L’autre branche de la rue est assez étroite, avec d’un côté le mur du jardin de notre maison, et de l’autre un immeuble en partie effondré.

— Si on bouge deux ou trois caisses contre l’immeuble, là, on peu faire une bonne barricade.

— Ouais, faut juste qu’on fasse bien le ménage dans les autres baraques avant, pas se faire coincer comme la dernière fois.

— On pourrait vivre à plein ici, sans problèmes !

— Tu veux dire sans autres problèmes que ces espèces de bâtards de cadavres ambulants ?

— Vas-y, un peu de respect, c’est des êtres humains à la base !

— Pas quand ces ordures nous obligent à partir !

— Ouais, t’as raison, ça commence à me gonfler d’ouvrir une nouvelle baraque tous les mois…

— Ça y est regarde, ils nous ont trouvé.

Je lui montre la troupe de quatre ou cinq cadavres en train de tanguer au milieu de la rue à coté de l’immeuble en ruine.

— Putain de zombies.

On garde le silence un moment, le soleil se lève. Je sais qu’elle va craquer. Elle se retient mais je sais qu’elle va craquer.

— Et Pour quelques instants, J’existe vraiment

Et voilà, qu’est-ce que je disais. Je reprends en cœur avec elle ce qui est devenu notre hymne depuis qu’on a trouvé cette vieille cassette de Michel Berger dans le poste d’un vieux trafic pourrave qui a bien voulu démarrer et nous sauver la vie il y a quelques mois.

« Le monde est un ami, Et moi, je suis mon maître

« Et quand le jour se lève, Je demande à mon rêve

« Si c’est bien ici, Que je devrais être,

« Squatter, tou doudoum ! Ma seule vraie maison est dans mon cœur, tou doudoum toudoudou doudoum ! »