Donne-moi ta main

En 6ème, ou 5ème j’ai exprimé ma frustration de la vie merdique en shootant de toutes mes forces dans un mur, j’ai perdu un ongle de pied et boité pendant des semaines. Quand j’ai récidivé en 1ère, j’avais de l’expérience et une paire de docs (mais j’ai passé le reste de la journée à flipper qu’on comprenne d’où venait le plâtre sur ma godasse).

j’ai écrit cette histoire à partir d’un gros fantasme du moi de maintenant quand il repense au moi d’il y a trente ans. j’avais pas tant de haine envers de mes harceleureuses. je les détestais quand iels s’en prenaient à moi, j’avais peur d’elleux, j’en suis venu aux mains des fois, mais tout ça s’arrêtait quand je les voyais plus. par contre les adultes qui m’ont pourrit la vie à cette époque, eux je les déteste encore, ils avaient choisi d’être là, iels étaient même payé·es pour me, nous, faire chier. mais le pire, ce qui me remuait, ce qui cristallisait ma rage, c’était ces putains de murs.

Quand on voit l’état de délabrement des bâtiments scolaires, le vandalisme auquel se livrent tant de gosses, la patience qu’on y met (faire un trou de 1 cm de diamètre dans une table en formica avec une pointe de compas en demande énormément), je suis sûr de ne pas être le seul à avoir haït, à continuer à haïr, ces foutus murs.

donc voilà, cette histoire, c’est ma proposition de réforme de l’Éducation Nationale, c’est pas subtil, ni très réaliste et ça m’a fait du bien.

y a une brochure pdf imprimable

dessin en noir et blanc représentant des bidons et bouteilles de carburant

Les phares de la voiture balayent la haie, ça dure que deux secondes, mais j’ai failli me pisser dessus. J’espère que mes baskets se voient pas par en dessous du buisson. J’ai mis les neuves, les noires, mais j’ai du mettre du stylo sur les machins qui brillent, j’espère que ça partira demain, je vais me faire incendier par ma mère, sinon. Je m’extirpe des thuyas de merde en essayant de pas en faire trop tomber dans mon cou. J’déteste ça, ça se coince dans le col de ton pull pendant des semaines et ça gratte. Raté. La bagnole a disparu au bout de la rue, je reprends mon vieux cartable sur mon dos et je me remet en route. Les thuyas, pour le moment, c’est le truc le plus chiant, cette nuit. Avec les vapeurs émanant de mon cartable qui me piquent le nez.

J’fais le chemin deux fois par jour, cinq jours par semaine depuis deux ans et je peux plus le voir. D’abord, un lotissement résidentiel, avec ses petites maisons qui partouzent en rond avec leurs petites pelouses et ses petits chemins piétonniers et son gros grillage tout autour. Et puis ces chienlit de haies de thuyas de l’autre côté. Maintenant, c’est le grand défilé des baraques moches toutes bien alignées. Une baraque, un garage, une baraque, un garage, un garage, une baraque. Trois kilomètres de maisons toutes pareil. Hyper déprimant. Ah, et un lampadaire tous les dix mètres, qui t’oblige à sortir de tes rêves et ouvrir les yeux pour pas se cogner quand tu fais le chemin à 7h15 le matin en hiver. Après, normalement, je coupe entre les tours des Hortensias pour rejoindre l’entrée, mais cette nuit, je suis en mode guérilla, je coupe par le parking de la mairie pour tomber près du gymnase.

C’est vraiment le désert : à part la voiture de tout à l’heure et un type bourré sur un vélo, je n’ai pas eu à me cacher. En même temps, c’est trois heures du matin un dimanche, alors… Les bretelles du cartable me cisaillent les épaules, je le déteste, lui aussi, à me casser le dos depuis le C.P. Je m’enfonce dans l’allée derrière le gymnase, et je pousse un des énorme container à poubelle en plastique bleu contre le muret du fond. Je galère à grimper sur la benne avec mon sac, et quand enfin j’y arrive, le couvercle s’enfonce d’un coup avec un gros BLONK ! J’ai fait comme quand on jouait à « 1, 2, 3, soleil ! », je me suis figé, mais en même temps j’ai senti tous mes cheveux se dresser sur ma nuque et le sang vider ma tête. J’ai jamais eu aussi peur. Au bout d’un moment, je m’suis rappelé qu’aucune habitation ne donnait sur la ruelle.

J’ai recommencé doucement à respirer, puis j’ai sorti la tenaille piquée dans l’atelier de mon grand-père de la poche de devant du cartable. Après m’être acharné cinq bonne minutes sur le grillage fixé en haut du mur, je me suis aperçu qu’il était déjà abîmé et que je pouvais glisser dessous. J’ai rangé la pince, et j’ai fait descendre doucement le sac de l’autre côté du mur, mais il m’a échappé à la fin. J’espère que j’ai pas niqué le bidon ! Je me griffe sur le grillage en descendant du mur, mais ça va, ça pique, mais ça saigne pas. J’suis arrivé au but ! Enfin, presque. En tout cas je suis arrivé dans la cour du C.E.S. Alphonse Bertillon, haut-lieu de mes misères.

J’dis « misères », là, on pourrait croire que je pigne pour rien, et tout. Mais en vrai, on me pourrit la vie à longueur de journée ici. Quand c’est pas des élèves, c’est des adultes. Et quand c’est pas moi, c’est quelqu’un d’autre. Ouais, parce que je suis pas stupide, quand Kevin vide ma trousse dans la poubelle, c’est un sac-à-merde. Et quand je le traite de « sac-à-merde » et qu’il m’attend à la sortie pour me casser la gueule, c’est doublement un sac-à-merde. Mais quand Moreau, le C.P.E., nous met tous les deux en colle pendant un mois parce qu’on s’est « battus », c’est un immonde sac-à-merde. Il devient le plus gros sac-à-merde du continent quand Kevin arrive au collège le lendemain avec un gnon sur la gueule, probablement offert par son père, lui-même sac-à-merde de renom. Et ça, c’est qu’une des histoires de l’an dernier. Si tu rajoute les punitions collectives, les abus de pouvoir divers, les humiliations en classe ou dans la cour, le manque de considération en général, la pression quotidienne sur les résultats scolaires et « l’orientation scolaire et professionnelle » de mômes de douze ans, c’est la totalité des élèves qu’on harcèle dans ces bâtiments. Après, ça empêche pas Kevin d’être un sac-à-merde.

Tous les adultes sont pas des sacs-à-merde, hein, y en a des, ça va. Mais ça suffit pas à sauver le collège à mes yeux. Ou les profs. Ça fait deux ans que j’y suis. Je dois rentrer en quatrième le 2 septembre. J’ai tiré la moitié de ma peine, mais l’autre moitié, j’espère bien y échapper faute de pénitencier. Quand Pépé est parti en maison de retraite — le « mouroir », comme il dit, « comme ton école, mais sans foot à la récré » — on a déménagé son atelier avec mes parents, on a entassé tous ses outils dans la cave, une tronçonneuse, un lapidaire, et même un marteau-piqueur ! Mon père m’a expliqué comment ça marchait, et tout, mais il a pas voulu que j’essaye : « On va pas réveiller tout le quartier ! et puis faut que tu fasse un peu de muscle d’abord ! ». Ce qui me faisait fantasmer c’était le pouvoir destructeur de ces engins du désastre… Après ça, quand j’arrivais au bahut, je m’imaginais tout démolir, découper les bureaux et les portes en hurlant, et tout. Depuis, j’y ai réfléchi, et on peut pas casser tant de trucs que ça avec, et c’est le jerrycan d’essence de la tronçonneuse qui m’a trotté dans la tête.

J’y ai fort pensé, dans les dernier jours avant les grandes vacances, quand Kevin-sac-à-merde s’est re-intéressé à mon cas à la cantine. Son père avait dû lui taper dessus, ou le conseiller d’orientation lui avait encore demandé de voir ses rêves à la baisse, je sais pas, en tout cas, il a foncé droit sur notre table, la table des parias. Y a pas que des indésirables infréquentables à cette table, c’est là que mangent les élèves allergiques ou avec un régime spécial, (des fois qu’Inès ou Malo soient trop stupides et décident de se foutre en l’air à coup de cacahuètes). Mais comme c’est celle qui est la plus proche du réfectoire des profs, quand un élève se plaint de harcèlement, c’est là qu’il se retrouve à manger « pour son bien ». Une double peine quoi, tu vis ta vie, tu te fais embrouiller, tu gueule, et on te colle à l’affiche tous les midis.

À chaque embrouille au réfectoire, c’est la même : « Pourquoi tu l’insulte comme ça, aussi ? Tu démarre au quart de tour et c’est exactement ça qu’il cherche ! Pourquoi ne pas y mettre un peu du tiens, faire un effort pour te retenir ? ». Là c’était Keller, la prof de SVT, qui était bien gentille jusque là, mais qui ne capte pas que j’ai eu droit à toute la série depuis un an. « Fais un effort », « Trouve un terrain d’entente », « Mets de l’eau dans ton vin », « Laisse glisser », « Tu n’as qu’à les ignorer », « N’y fais pas attention ». Nique les adultes et leurs certitudes. Tout ça, je l’entends comme « Arranges-toi pour rendre la vie de tes tortionnaires plus confortable ». On me reproche de « choisir » d’être différent. Mais quand ma pote Malika qui se fait emmerder à cause de ses lunettes moches ou ses boutons, on lui sort les même conneries.

D’ailleurs c’est avec elle qu’on a organisé l’opération « Demain Y A Plus École » (titre de travail, j’en suis pas encore sûr). En rentrant du collège un des derniers soirs de l’année, je lui ai demandé un peu pour la blague :

— Si le collège crame pendant les vacances, on voit pas tous ces connards avant janvier… Tu crois qu’un bidon de dix litres ça irait ?

Elle a paru réfléchir un moment avant de répondre.

— Si tu fais un gros tas avec les tables et les chaises en plastique… J’pense que rien que la suie et les fumées toxiques suffiraient à le fermer quelques jours.

Sur le coup, j’ai halluciné, j’avoue, mais en vrai, Malika, elle s’en prend plein les dents depuis la primaire, entre les lunettes-CMU et le fait qu’elle nique tout en sciences, donc elle a bien pris l’opération en main…

J’arrive dans le recoin entre le bâtiment administratif et le collège proprement dit où on doit se retrouver, mais je me fige dès que j’ai passé l’angle. Y a un problème, plusieurs silhouettes se détachent sur la couleur plus claire des murs de l’Administration.

— T’inquiète pas, c’est des collègues !

— Putain, Malika ! C’est pas c’qu’on avait prévu !

— J’sais bien, mais on est pas les seul·es à vouloir foutre en l’air cet endroit… J ‘en ai parlé avec Samir hier soir, et en SEGPA, y a tout le matériel qu’il faut pour être efficaces, on a le meilleur plan de la terre ! En vrai, lui et ses potes ont carrément plus de capacité de nuisance que nous, on leur apprend à construire toute la journée, y a rien de mieux pour savoir tout détruire !

— Mais notre plan à nous était très bien ! On rentrait, on faisait un tas avec les chaises du réfectoire dans le hall, on foutait le feu et on rentrait se coucher ! Simple, tu vois !

— Entre « Simple » et « Stupide », y a pas loin, tu sais ? On a réfléchi avec Samir et Ima, avec notre plan, l’alarme se déclenche quand on entre, ou les détecteur de fumée éteignent l’incendie, on se fait cueillir dans la cour et demain tout le monde traverse le hall à peine cramé pour aller en classe.

— On sait qu’on risque de se faire chopper, moi j’ai confiance que si on m’attrape, tu me laissera pas tout seul et qu’on fera du bruit, on sera « les élèves qui se révoltent et qui crament leur collège ». Là, on est plus, y a encore plus de chances qu’on se fasse chopper, et pour un truc encore plus grave ?

C’est là que j’ai commencé à changer d’avis, tout seul, dans ma tête, genre « Ah bon ? En fait, y a moyen de casser plus ? »

— Bon. Qu’est-ce que tu propose ?

Là-dessus, Samir s’approche. C’est son voisin, mais moi j’le connais pas trop — la récréation des SEGPA se passe pas en même temps que la notre des fois qu’on se mélangerait — mais je sais que Malika l’aime bien et passe son temps à causer de trucs incompréhensible super techniques avec lui. Elle aurait voulu suivre ce genre de cours, apprendre à souder à fabriquer des machins, mais les profs ont dit des trucs style « Il ne faut pas gâcher votre potentiel »… C’est ça qui lui fout le plus les nerf, dans la vie, je crois. Il se met à côté de ma pote et dit :

— On serait plus nombreux…

— « Nombreuxes ». Ou « Nombreuseux ».

— Tu fais chier, Malika, laisse moi finir ma phrase au moins…

— « On serait plus nombreuxes » si toi et tes copains vous faisiez pas semblant que la moitié de l’humanité n’existe pas.

— Ouais, c’est ça. On serait plus « nombreuxeuxeuh », genre, quinze ou vingt, j’dirais, on fout tout en l’air et après on se filme, on danse sur les ruines, on fait un buzz de ouf et et on attend les pompier et les flics. En vrai ça en jetterait, et je suis sûr que d’autres collège crameraient dans la foulée, mais on serait grave dans la merde. Là on n’est que quatre, on pourra peut-être pas faire autant de dégâts mais on a des chances de tous…

— « Toustes »

— Pfff… De toustes s’en tirer sans se faire chopper.

— Ok. D’accord.

Je souffle.

— Et c’est quoi votre nouveau plan de la mort alors ?

— Déjà, faut retarder les pompier et les flics un maxim…

— Ben ? Qu’est-ce que vous foutez là ?!

La voix a surgit de derrière mon dos, et comme d’habitude, elle me glace le sang. Je sais déjà que je vais me faire emmerder, avant même de me tourner vers Kevin. Je suis étonné par son attitude, un peu penaude. Il a l’air aussi surpris de nous voir que l’inverse, et tient une paire de bouteilles en plastique blanc dans les mains. Je remarque qu’il est tout seul, pour une fois, ça me donne des ailes :

— Toi, qu’est que tu fous là ? Et c’est quoi ces bouteilles ?

Il a l’air gêné, puis son regard tombe sur les jerrycans contre le mur derrière nous.

— Beeen… J’en peux plus de Moreau. J’l’ai toujours sur le dos, et chaque fois qu’il me colle une punition, mon père me défonce le soir… C’est comme s’ils s’étaient mis d’accord pour me défoncer, tous les deux. Du coup j’me suis dit que j’avais qu’à cramer son bureau. À Moreau… Et puis me tirer, loin, avant que mon père se réveille demain.

La pote de de Samir —Ima ?— s’approche et tend la main vers les bouteilles. Après un mouvement de recul, Kevin les lui donne.

— Du whitespirit ? Mais c’est tout naze, ça ! Ça chauffe pas assez, c’est comme de l’huile ou du gasoil…

— Hé ! Y a quand même le symbole avec la flamme, là !

— C’est pas assez. Pourquoi t’as pris ça ?

— Ça restait de quand on a repeint les volets cet été.

Ima pose les bouteilles à côté des bidons.

— Bah ça fera deux litre de carburant en plus, ça peut pas faire de mal… T’es venu tout seul ?

— Y a mes potes qui m’attendent au parc, personne voulait m’accompagner.


Déjà j’étais pas très chaud que le plan change, mais de le faire avec Kevin (et ses copains relous, s’il va les chercher), là, ça, ça m’a mis de travers. Malika m’a rattrapé pendant que j’essayais de repasser sous le grillage.

— Ah, t’es là ! Eh mais qu’est-ce que tu fous ? Tu te casse ?

— Là, l’autre sac-à-merde, j’peux pas. Désolé.

— « Désolé » mon cul ! Ouais, c’est un sac-à-merde qui t’a pourri la vie, mais il a pourri la mienne aussi, j’te rappelle !

— Et alors, toi, tu le pardonne si tu veux, moi j’peux pas !

— Mais il s’agit pas de pardon ! Et non j’lui pardonne pas. Mais tu vois bien qu’il est pas en mode sac-à-merde ce soir ! Et puis c’est toi qui m’a théorisé tout ton truc, là, « le collège c’est la source de toutes nos emmerdes », c’est bien pour ça qu’on veut le démolir, non ?

— Ah ouais, « le démolir » ? Carrément ?

— La SEGPA a plein de matos… Et si on est assez nombreuxes on peut vraiment tout péter… Alors, tu viens ? T’es même pas obligé de lui parler, y a plein de trucs à mettre en place et j’crois ça va t’plaire !

Évidemment, comme je suis un peu con, je traîne les pieds, mais en vrai c’était juste pour pas paraître convaincu trop vite… Samir est en train de daronniser Kevin en mode « j’te dis pas qu’c’est interdit de fumer, j’t’explique qu’on va tous sauter si tu te retiens pas pendant deux heures, y a d’l’essence partout, abruti ! ». Ima, elle, est dans le hall du collège en train de trifouiller dans un boîtier à côté de l’entrée.

— J’peux entrer ? Tu fais quoi ?

— Ouais c’est bon j’ai coupé l’alarme…

Je m’approche du boîtier, y a une espèce d’écran tactile à l’intérieur. Je la connais que de vue, Ima, mais elle me fait flipper. Ma première année ici je l’ai vue taper un type à l’arrêt de bus parce qu’il lui avait dit « va te faire belle, on dirait un mec ! ». À l´époque, ça me semblait tellement hors de propos, une meuf qui se défend, et puis clairement de l’opinion générale, Ima était complètement hystérique, fallait pas l’approcher. Du coup aujourd’hui, même depuis j’ai compris pourquoi elle était si vénèr’, j’fais un peu gaffe, quand même…

— Tu l’as eu comment, le code ?

— L’an dernier, en « stage de professionnalisation » on a passé les vacances de la Toussaint à repeindre la salle des profs et le bureau du principal, j’ai vu Moreau le taper tous les matins pour nous ouvrir… J’essaye de désactiver l’alarme incendie, j’ai réussi à couper l’appel automatique à la caserne et la sirène, mais pas les jets d’eau, j’trouve pas, ça m’fait chier c’est tout en anglais et y a rien qui dit « water ».

— J’crois on dit « spritler » ou un truc comme ça…

— Sprit… Ah ! Yes ! « Sprinklers off » ! Voilà !

Elle se retourne et lève la main, je le regarde sans comprendre…

— Woh ! Tu me laisse pas dans le vent !

Je lève la main et tape dans la sienne, pas ravi de passer pour une brelle à pas comprendre les gens, ça doit être le stress, d’habitude je suis plus doué à éviter ces situations.

— Viens faut ramener le matos dans le hall

On rejoint les autres à l’atelier de la SEGPA. Là-bas, Malika me tend une énorme disqueuse avec un grand sourire.

— Sérieux ?

— J’savais que ça t’ferait plaisir ! Tu vas apprendre a couper des machin énorme avec des trucs qui font du bruit et des étincelles ! Allez ferme la bouche et bouge, on a plein de trucs à ramener dans le hall…

J’me demande bien à quoi ça va servir, mais j’ai trop hâte ! On retourne dans le hall les bras chargés, et on dépote tout dans un coin, puis Samir prend la parole.

— Ok, je vous explique le plan. On va tout niquer. Tous les bâtiments…

— Mais comment tu compte faire ? Tu veux qu’on les coupe avec ton machin là ?

Cette fois-ci on est deux avec Malika à dire à Kevin de fermer sa gueule.

— Presque. J’explique. L’administration, c’est une extension en ossature bois biobio-mon-cul avec de la moquette en plastique de merde partout, on va juste balancer un tas d’essence là-dedans et basta. Facile. Vous vous occuperez de ça pendant qu’Ima et moi on gère la SEGPA de notre côté. Le bâtiment principal, par contre est super grand et en béton, mais y a un plan ambitieux.

Il s’approche des colonnes qui longent le mur droit du hall et sort un marqueur de sa poche.

— Ça, ça s’appelle un IPN, c’est super costaud, mais c’est facile à fragiliser. Si on coupe là et là, sur les huit poteaux, ils tiennent plus grand-chose.

— On va pas se ramasser le plafond sur la tronche ?

— T’inquiètes pas, c’est du béton armé ça bougera pas sans une grosse pichenette !

— Mais alors à quoi ça sert ?

Là c’est Ima qui répond en souriant.

— De l’autre côté de ce mur en plâtre pourrave, y a la cuisine, si on ouvre le gaz et qu’on fait péter tout ça, l’explosion va plier les poteaux comme rien !

— Une grosse pichenette, quoi…

— On n’a qu’à couper ça et c’est tout ?

— Ouais, non, on se disait qu’on pouvait quand même foutre en l’air le CDI et ouvrir le gaz aussi à l’étage des sciences pour rajouter du bordel.

Je regarde le lapidaire avec un peu de regret avant de prendre la parole, j’ai l’impression de trahir mes désirs.

— Mais ce truc ça fait un boucan terrible, les flics vont débarquer en deux secondes, non ? Comment tu veux couper tout ça et pas réveiller les voisins ?

— Déjà, les voisins sont loin, et ça va pas prendre des heures. Et puis c’est pas courant, mais ça arrive qu’il y ait des travaux de nuit ici. Je pense que d’habitude les voisins vont se plaindre le lendemain, c’est tout.

— Au pire, les flics viennent, voient de la lumière et entendent des bruits de travaux, c’est pas une banque, ils vont pas réveiller le principal pour ça… De toutes façons y a des trucs à faire avant, on y va ? J’fais une liste : on a coupé le gaz, faudrait ouvrir tous les robinets qu’on trouve dans les salles de science, foutre le zbeul au CDI, ramener le micro-onde de la salle des profs ici, bloquer toutes les portes coupe-feu avec des chaises, quand ça sera fait on pourra passer au gros œuvre… On y va ?

À peine Ima a fini de parler qu’elle se dirige vers l’escalier, Malika à sa suite. Je demande à Samir :

— Pour quoi faire le micro-onde ?

— Pour le détonateur. Faut que j’aille péter la sécurité de l’arrivée de gaz, je vous laisse gérer ça tous les deux !


Merde. Je regarde Kevin en coin, puis je pars vers l’Administration sans rien dire, je sais pas si il me suit. Ça fait trop bizarre d’être dans le collège la nuit, que nous. J’ai l’impression de transgresser toutes les lois qui régissent le monde. C’est la première fois que je suis dans cet endroit et que je peux tout faire. Vraiment tout faire. Je m’arrête devant le distributeur de snacks dans le couloir de la salle des profs. Y en avait un dans le hall ma première année, il a été remplacé par les dames de la cantines qui distribuent des pommes à la récré de 10h parce que c’est meilleur pour la santé, par contre les profs peuvent s’enquiller du coca, des mars et des chips, les ordures… Putains d’adultes hypocrites. J’essaye d’attraper un machin au chocolat en glissant mon bras par l’ouverture du bas mais c’est trop court.

— Attends, regarde, j’ai ça !

Kevin est au dessus de moi avec un genre de pied de biche à la main. Je suis pas à l’aise, mais il a l’air de me tendre le bidule, alors je le prends avant de me lever. Je regarde l’outil, je sais pas comment ça marche, alors je m’en sers pour taper sur la vitre, mais ça me rebondi sur la gueule, puis je me rappelle que c’est une espèce de porte alors je glisse un bout du truc dans la fente sur le côté et je pousse de toutes mes forces.

— Tu peux m’aider ?

Kevin s’appuie au bout de la barre et la porte cède d’un coup. Je suis super content de moi et je gueule un coup puis je me tourne vers mon complice et ça me refroidit. Je laisse tomber le pied-de-biche, je prend un snack et une canette et j’entre dans la salle des profs. Kevin entre à son tour. Dans ma tête j’ai « Comment on a trop pas l’droit d’être lààà ! » qui me crie et me donne envie d’exploser dans tous les sens, et « Méfie-toi de lui ! Méfie-toi de lui ! Lui tourne pas l’dos ! » qui me glace dans le même temps. Elle est moche comme une salle de prof de série télé cette pièce. Je commence à débrancher le micro-onde.

— J’sais qu’tu m’aime pas, t’sais !

Je me retourne et je craque.

— C’est moi, je t’aime pas ? Connard ! Qui c’est qui pète la gueule de l’autre ?

— Ça va, j’t’ai pas cassé la gueule ! Mon père il…

— C’est pas parce que t’as de l’entraînement que c’est à toi de décider de mes limites ! Moi j’t’ai rien demandé, j’fais ma vie, j’sais même pas pourquoi tu viens m’emmerder la moitié du temps, à part l’habitude ! C’est quoi c’est qu’j’suis p’tit ?

— Ça va, arrête de gueuler là ! On cause !

— J’gueule si j’veux ! Sac-à-merde ! Et quoi « on cause » ? « on cause » quand tu veux causer et tu me pourris la vie quand t’as la flemme de causer ?

— Désolé, c’est pas ça… Pfff… C’est ça aussi t’as pas les moyens de tes prétentions, je ferais ton gabarit j’traiterai pas les gens de sac-à-merde !

— Tu fais pas mon gabarit ! Et je t’ai pas insulté avant que tu t’en prenne à moi !

— Bon. D’accord. Je suis désolé de m’en être pris à toi. Ça va là ?

— Tu veux une médaille ?

— Putain t’es trop chiant ! Je m’excuse là ! Ça va !

— Arrête de dire que ça va ! Non ça va pas ! Qu’est-ce que tu dirais si ton daron se pointait un soir et disait « désolé de t’avoir démoli deux fois par semaine, j’m’excuse… Ça va là ? »

— J’sais pas, il l’a jamais fait, mais ça serait un bon début…

Malika a raison, il a pas l’air comme d’habitude, moitié mélancolique, pas loin de chialer en fait.

— Tu te casse vraiment de chez toi ?

— C’est pas la première fois que j’essaie, mais là je me suis dit, si je fait un truc grave, je me retrouve en foyer ou en taule, ça peut pas être pire…

— Ça, je suis pas sûr… J’suppose que t’as essayé de le dire à des gens ?

— Un peu, mais t’as vu comment il est Moreau, j’ai arrêté de prendre le risque à un moment.

— Écoute, j’t’en veux, et pas qu’un peu. Mais j’en veux plus à cet endroit et aux adultes qui nous donnent des leçons toute la journée en buvant du coca pépère à la récré… Alors j’peux être cordial, mais t’arrêtes de me faire chier. Arrête de faire chier les gens qui t’ont rien fait, en fait.

— Toi tu t’arrêtes jamais en fait ?

— Rarement.

— Les autres m’ont dit que c’était ton idée à la base, j’aurais jamais cru…

— Ben voilà, faut laisser aux gens la place de nous surprendre… Après, si je suis honnête,mon idée ressemblait plus à la tienne, foutre le feu et regarder les conséquences venir au petit matin. Leur idée est plus… définitive…

Je me remets à tirer sur le fil du micro-onde coincé derrière le comptoir, il fini par se débrancher et je prend le four dans mes bras.

— Ça va aller ?

Je choisis de faire comme s’il parlait de mon chargement.

— Ouais, c’est pas lourd.

Je sors de la pièce en l’entendant soupirer dans mon dos. Je fais comme si de rien était mais je dois reconnaître qu’il est moins un sac-à-merde et plus une personne dans ma tête. Fait chier. Je passe devant le distrib’ avec une bouffée de fierté et je prend le couloir en direction du hall pendant qu’il traine.

— Tu fous quoi ?

— Vas-y ! J’arrive !

Je rejoins les autres près des outils, pose le four par terre et m’assieds dessus. Un peu fanfaron je sors le coca de ma poche et, l’ouvrant sans précaution, j’en fous partout. Malika me lance une bourrade dans l’épaule, me faisant renverser encore plus de ma boisson.

— T’as braqué le distributeur ? Et nous ?

Là je me sens un peu con, j’avais pas pensé aux autres… Je réfléchis à une connerie à répondre, mais Kevin pose un tiroir de bureau devant nous, débordant du contenu du distributeur en vrac.

— Il pouvait pas tout porter…

Fait chier ! Arrête d’être humain, sac-à-merde.

— C’est ça ouais, j’suis sûr qu’il avait encore pensé qu’à sa gueule de gosse de riche !

Venant de Malika, je sais que c’est une vanne alors je répond rien. Ima me demande :

— C’est vrai que tes parents sont riches ?

— Pas particulièrement, non…

— Ils sont deux ? Ils bossent ? Ils ont une bagnole chacun ?

J’acquiesce à chaque question, je sens que je m’enfonce. Et Malika assène le coup de grâce :

— Et Dans ta maison tu as une chambre pour toi tout seul. Ah, et un jardin.

Je regarde les autres, évidemment, même si je sais bien que des tas de gens sont plus riches que mes parents, comparés à la moyenne des familles fréquentant le collège, dire qu’ils ne seraient « pas particulièrement » riches est un mensonge. Samir met un snack dans sa poche et demande :

— Bon, on sort les déclarations d’impôts ou on s’y remet ?

On se lève tous et j’attends la suite, un peu désœuvré. Malika prend un marteau et casse la vitre du micro-onde que j’ai ramené, pose ma canette vide à l’intérieur avant de refermer la porte, puis se tourne vers Ima.

— Logiquement ça devrait suffire !

— Ouais je pense, tu l’installe au troisième ?

— Ok, je pensais le mettre dans la salle de Pelissier, elle est au milieu.

— C’est toi qui vois, l’intello… Je vais gérer les IPN… Eh, la princesse du château ! Il paraît que tu veux apprendre à disquer ? Ramène la rallonge !


Il me faut quelques secondes pour comprendre que c’est à moi qu’elle parle. J’ai, rien qu’un instant, l’envie de sauter sur mes habituels grands chevaux, mais déjà, j’ai peur d’elle, et ensuite pour une raison qui me tracasse, je n’ai pas l’impression qu’elle aie voulu m’insulter. Elle n’attend pas ma réponse et ramasse la disqueuse et un sac en plastique avant de rejoindre le premier poteau.

— J’suis pas une princesse.

— J’sais pas… T’as une chambre pour toi et t’as jamais eu a bosser pour, non ?

Elle ouvre le sac en plastique et me tend une paire de gros gants de travail, des lunettes en plastique et un casque anti-bruit.

— J’crois pas que ce soit la définition de « princesse ». Et puis dans l’idéal tout le monde devrait avoir sa chambre sans avoir à bosser pour, je trouve…

Elle enfile l’équipement de protection et branche le lapidaire, puis, levant le casque d’une de ses oreilles, elle répond.

— En théorie, ouais, mais dans le vrai monde, y a les gens qui ont leur propre chambre et les autres. Et j’emmerde les définitions. Et aussi, te fais pas de souci, y a des princesse très bien qui savent se servir d’une disqueuse.

Là dessus elle démarre le merdier, et —oh bordel !— j’enfile les lunettes et le casque anti-bruit en catastrophe. Le bruit est terrible et les gerbe d’étincelles donnent une ambiance de chaos, j’ai juste envie d’aller me planquer, mais j’essaie de dépasser ça et de m’approcher pour regarder comment elle tient l’outil. En fait ça n’a pas l’air sorcier. Au bout de quelques dizaines de secondes, elle arrive au bout de la marque laissée par Samir et arrête la machine.

— Ok, t’as vu comment j’ai fait ? Tu garde tes jambes bien stable un peu écartées, et tu te laisse pas embarquer par la machine. Lance bien le disque avant de commencer à couper. Essaye de trouver le point d’équilibre sur le disque pour couper, si ça tire trop d’un côté, reviens doucement jusqu’à le retrouver. Ah, et reste droit, sinon tu vas pincer le disque et il va te péter à la gueule.

Elle me tend l’engin. Bordel ce que c’est lourd. J’appuie sur le bouton et le relâche aussitôt. Ok. On y va. C’est parti. Pfff. J’enfonce le bouton et je sens la machine vibrer, ça bouge dans tous les sens, ça fait comme des huits, Ima me fait signe de bien serrer mes poignets pour la stabiliser. Je fais « Ok » de la tête et j’approche la disqueuse du métal. D’un coup ça se met à gicler des étincelles partout, mais je comprend son histoire de point d’équilibre et j’arrive a faire en sorte que les étincelles ne rebondissent plus sur le mur. Je finis par être presque hypnotisé par les lignes rouges sur le disque. Complètement dans ma tête, je fais un sans faute jusqu’à la jonction avec la coupe d’Ima, où le disque « me pète à la gueule », enfin plutôt dans les mains, mais sans bobo. Ima me montre comment changer le disque et on passe à l’autre poteau. On est vraiment en train de couper le putain de collège en morceau, je jubile !

Kevin, puis Malika nous rejoignent après avoir renversé un tas de bouquins au milieu du CDI, cette fois-ci c’est moi qui leur montre comment ça marche. J’suis trop content, rien que pour apprendre ça, ça valait le coup ! Quand le dernier poteau est préparé, Samir vient nous dire que tout est prêt pour le bâtiment principal, on va couper l’électricité et ouvrir les vannes, puis laisser les salles de science et la cuisine se remplir de gaz le temps de s’occuper du reste.

Kevin, Malika et moi, on retourne à l’Administration et on entasse les chaises en plastique de la salle d’attente de l’accueil contre le comptoir en bois de palettes recyclées et on ouvre une fenêtre à côté.

— J’ai l’impression que ça va servir à rien, là ! Et si ça crame pas assez fort ? Que les pompiers ont le temps d’éteindre les trucs, ils pourront récupérer leur affaires et tout !

— Honnêtement Kevin, je pense pas qu’il y ait des trucs stratégiques ou j’sais pas quoi, ici, toutes les notes, les dossiers des élèves, et tout c’est sur l’intranet de l’académie, alors à part si ça te soulage personnellement de retourner le bureau du principal, c’est pas la peine de trop s’emmerder, je crois…

— Et puis Samir a raison, le bâtiment est en bois, y a de la moquette partout,ça va cramer en deux secondes !

— J’vais quand même pisser sur le bureau de Moreau.

— Si ça peut te faire plaisir.

Je ramène un bidon d’essence au CDI pendant que Malika attend Kevin. C’est fou le bordel qu’on peut foutre en si peu de temps. Y a un tas de bouquins et de dicos aussi haut que moi au milieu du CDI. Pour le plaisir, je vide les quatre étagères de classeurs ONISEP une par une et je vide le bidon sur les bouquins éparpillés et dans les allées. Ça pue et j’en ai foutu sur mes baskets, merde, je finis le bidon devant la fenêtre et comme je commence à avoir la tête qui tourne, je sors par là pour pas retraverser le CDI. Et pour avoir le plaisir de faire un autre truc complètement interdit dans le collège. Je suis plus à ça près…


Dans la cour, je rejoins Samir et Ima qui ont un sourire jusqu’aux oreilles. Kevin et Malika arrivent à leur tour.

— C’est prêt !

— Nous aussi, on a même eu le temps de saboter les machine-outils de l’atelier, ça va leur coûter un fric monstre !

— Là c’est bon ? J’peux fumer ?

— Ouais, mais fais gaffe si t’as de l’essence sur tes fringues ! De toutes façons, plus on attend, plus y aura de gaz…

— Du coup, si je résume, on met le feu, on remet l’élec, les fours se mettent en marche, font des étincelles avec l’aluminium, boum le gaz et l’école est finie ?

— Voilà, l’école est finie.

— « …Que la joie vienne, mais oui, mais oui, l’école est finie ! »

— Ben ça va pas Kevin, qu’est-ce que tu chante ?

— Laisse-tomber !

— Nan, sans déconner ça m’intéresse ! C’est quoi ? Ça vient d’où ?

— C’est ma grand-mère. Elle a Alzheimer, et quand on va la voir, j’sais pas, elle écoute cette chanson tout le temps, c’est le seul truc qui la calme quand elle sait plus où elle en est, c’est une chanson d’une vieille meuf d’y a longtemps, là, euh…Shayla, je crois !

— Tu la connais, du coup ?

— Bah non, pas toute… Juste des bouts…

— Vas-y chante !

— Mais non, vous foutez pas d’ma gueule…

— Mais si ! Chante ! On s’fout pas de ta gueule, on a fait la guerre ensemble !

— Pfff… Ok, mais quand on fait tout péter.

— Bon ben on y va alors, qui c’est qui va allumer les bureaux et le CDI ?

Malika répond même pas, elle prend le briquet des doigts de Kevin et s’éloigne en courant vers le collège. Je la rattrape en soufflant, je crois pas que ça serve à grand-chose, mais j’ai envie d’être là, de tout voir. Je lui fais la courte échelle à la fenêtre du CDI pour qu’elle attrape un livre à l’intérieur. Les pages s’enflamment, elle le jette dans l’allée et WLOFF ! Le CDI commence à brûler ! Faut pas traîner, avec le gaz c’est hyper dangereux. À l’accueil de l’Administration, Malika attrape le chiffon imbibé d’essence qu’elle avait laissé sur le rebord de la fenêtre et d’un seul mouvement, l’enflamme et le jette dans la pièce. Là encore l’incendie démarre direct. On court rejoindre les autres près du portail, à côté de la trappe technique. De la fumée noire sort par la fenêtre du CDI, c’est que le début, je trépigne, j’ai hâte de voir le reste ! Samir a la main posée sur une espèce d’énorme disjoncteur.

— Quand je vais mettre le jus, ça va prendre quelques secondes, au plus, à faire sauter le bâtiment principal, et je pense moins d’une minute pour la SEGPA, p’t-être c’est plus sûr si vous vous mettiez à l’abr…

— Que dalle ! On est là, j’regarde le truc jusqu’au bout !

— Ouais, moi aussi je reste là.

— Et puis Kevin doit chanter sa chanson.

— Vous faites chier !

— Bon. Ben vas-y chante, maintenant !

Donne-moi ta main, et prends la mienne,
La cloche a sonné, ça signifie,
La rue est à nous, que la joie viennent,
Mais oui, mais oui, l’école est finie !
Donne-moi ta main, et prends la mienne
,

*clic !*

On a pour nous, toute la nuit,
On s’amus’ra bien, quoi qu’il advienne,
Mais oui mais oui, l’école est fin…

KABABLAMM

La première explosion a fait sauter les vitres de l’étage des sciences et la cuisine presqu’en même temps, et, au début je crois à une illusion d’optique, mais non, le toit du bâtiment s’est affaissé au milieu, à l’aplomb des poteaux sciés !

— Oh merde ! Ça a marché ! Plus qu’un, allez…

Cette fois-ci tout le monde chante avec Kevin :

Donne-moi ta main, et prends la mienne,
La cloche a sonné, ça signifie,
La rue est à nous, que la joie viennent,
Mais oui, mais oui, l’école est finie !

BABAOUUM


Un gros bout du toit de la SEGPA s’envole littéralement et vient taper contre le bâtiment principal, qui, dans un grondement s’effondre comme un château de cartes. C’est pas une image, hein, vraiment comme un putain de château de cartes quand le relou de service fait bouger la table. Le CDI ne brûle plus parce qu’il n’y a plus de CDI. Les bureaux de l’Administration, eux, sont toujours en train de cramer d’une fumée noire, et, je sais pas si je les imagine, mais j’entends des sirènes. Je me tourne vers les autres qui sont toujours hypnotisés par le désastre. Notre désastre.

— Bon ben on va peut-être pas traîner ici des plombes… On se retrouve demain pour voir ça en plein jour ?

Malika me regarde comme si elle se réveillait, en clignant des yeux.

— Ouais. Euh… Si y en a un ou une de nous qui se fait chopper pour ça…

— Ouais…

— On dit rien, genre comme dans les films, sauf que là y a pas de torture. J’espère.

— Moi, si l’un….

Malika se gratte ostensiblement la gorge, je lève les yeux au ciel et je reprends.

— Si l’un, ou l’une, de vous se fait chopper, franchement, je fais un scandale devant le commissariat et j’me dénonce, mais je laisse personne ramasser pour moi ! Même Kevin.

Ima me regarde un peu de travers, puis souffle.

— Ok, c’est plus le moment de discuter de ça, mais on risque pas toutes la même chose, Princesse, alors tu te dénonce si tu veux jouer les martyrs, mais tu raconte rien.

— Évidemment…

— Allez on se casse, là !

Malika, Ima et Samir partent à travers le parc, et je pars dans la direction opposée. Au bout de quelques pas, je me retourne et je regarde Kevin, tout seul qui regarde les ruines.

—Tu fous quoi ?

— Si je rentre à cette heure, je vais me faire allumer. Et j’ai pas envie.

— T’avais prévu de dormir où ? Chez un de tes super potes ?

— J’avais pas prévu grand’chose, t’as vu…

Je laisse passer un silence, puis je lâche.

— Viens.

— Et tes parents ?

— On verra ça demain.

— Merci. Princesse.

— Ta gueule sac-à-merde. J’ai une grande chambre mais j’ai aussi un cabanon dans le jardin, alors abuse pas !

— Ok, d’accord. En même temps t’es prêt à aller en taule « même pour Kevin » alors tu peux bien partager ta chambre !

Putain d’humanité.

— Chante, tu diras moins de conneries !

Donne moi ta main, et prend la mienne,
L’école a cramé, ça signifie,
La vie est à nous, que la joie vienne,
Mais oui mais oui,l’école c’est fini,
L’école c’est fini, l’école c’est fini !